Où sont les salons de coiffure qui proposent des coupes non genrées ?
Quand on est une femme queer, ou une personne non-binaire, la coupe de cheveu est souvent un marqueur fort d’affirmation de soi. Mais où se faire couper les cheveux quand la plupart des salons proposent une offre hypergenrée, et peu adaptée à ses goûts ?
Peu à peu, des solutions alternatives se développent, à petite échelle. Mais tout reste à faire. Enquête sur un monde de la coiffure encore trop hétéronormé.
“Déjà que vous n’êtes pas maquillée !” Quand Mathilde, 19 ans, se rend chez un coiffeur du VIème arrondissement au mois de janvier, c’est la douche froide. La coiffeuse avec qui elle a rendez-vous refuse de lui faire une “coupe à la garçonne”. “Elle était très énervée, elle est allée voir son patron, qui lui a dit de faire la coupe quand même. Finalement, elle m’a coupé les cheveux mais c’était une très mauvaise expérience. Elle me demandait sans arrêt si elle devait encore couper et elle n’osait rien faire.”
Comme Mathilde, de nombreuses filles bies ou lesbiennes se retrouvent confrontées à l’incompréhension ou au jugement lorsqu’elles se rendent dans les salons de coiffure. “C’est un vrai souci. Quand t’es une femme et que t’as les cheveux courts, tout le monde veut que tu sois féminine”, s’agace Paule-Elise, rédactrice free-lance. À la recherche d’une coupe “unisexe”, elle regrette de ne jamais avoir le résultat escompté en sortant des salons qu’elle fréquente. “J’aime bien avoir le tour des oreilles dégagé par exemple, mais à chaque fois, ils ne le marquent pas.” Même chose pour la nuque, ou les pattes, que les coiffeurs rechignent souvent à arranger de la même façon que pour les hommes.
“On considère que les femmes sont plus exigeantes et davantage prêtes à investir pour leur beauté.”
Le salon, comme entreprise de beauté, est un lieu où se performe le genre. La grande majorité des salons proposent des coupes “homme” et “femme” avec des soins plus complets pour les femmes. Or, cette distinction en deux catégories binaires ne correspond pas à tou·te·s, particulièrement dans la communauté LGBTQ+. Pour des filles androgynes ou butchs, la coiffure représente justement un moyen de jouer avec les genres et se réapproprier les codes du masculin.
Une discrimination économique
Entre les coupes femme et les coupes homme, la barrière est aussi économique. Pour une coupe courte, on peut payer 33 euros quand on est un homme et 49 euros quand on est une femme. C’est le constat que faisait déjà en 2015 la journaliste Ariane Nicolas, alors rédac-chef adjointe de Konbini. Adepte de la coupe androgyne, elle poussait un coup de gueule contre la différence des prix criante. Aujourd’hui, pour elle, rien n’a changé ou presque. “On considère que les femmes sont plus exigeantes et davantage prêtes à investir pour leur beauté. Il y a même cette croyance qui s’est ancrée qu’une coupe payée peu chère est forcément de mauvaise qualité, alors même que les hommes paient beaucoup moins.” En appliquant un marketing genré, les salons de coiffure peuvent ainsi justifier la différence de prix et affirmer que les services sont différents. “C’est très étonnant, d’autant qu’aujourd’hui beaucoup de coupes sont androgynes et peuvent être réclamées par des hommes ou par des femmes. Dans les deux cas, on passera autant de temps sur la coupe”, explique Patrick Lagré, directeur artistique de la chaîne de salons de coiffure indépendants Toni&Guy.
“Les personnes queer sont souvent plus précaires. C’est un vrai piège économique: c’est celles qui ont le moins les moyens qui sont obligées de consommer au prix fort.”
Les salons de coiffure appliquent la taxe rose, une stratégie commerciale qui consiste à faire payer un surcoût aux femmes, en présentant un produit ou un service “spécial femmes”. Des pratiques genrées dénoncées en 2015 par des associations, comme le collectif féministe Georgette Sand. Si le Secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a depuis remis au Parlement un rapport sur les différences de prix, ce premier pas est insuffisant pour le collectif, car il se concentre sur la grande distribution et exclut de nombreux services: “Il faudrait intégrer les salons de coiffure, pour que le coût de la coupe soit relatif au temps passé, et non au sexe des personnes”, défend l’association. Car concrètement, aujourd’hui, se faire couper les cheveux au tarif femme peut représenter un luxe, quand on doit entretenir sa coupe toutes les 4 à 6 semaines. D’autant que les femmes ont un salaire inférieur en moyenne de 24% à celui des hommes. “Les personnes queer sont aussi souvent plus précaires. C’est un vrai piège économique: c’est celles qui ont le moins les moyens qui sont obligées de consommer au prix fort”, analyse Mathilde Castanie, membre du collectif.
Déconstruire les diktats du genre
Confrontées à ces difficultés, les filles queer et les personnes non-binaires tentent de s’adapter. Certaines demandent ainsi frontalement à se voir appliquer le tarif homme. “Pendant trois ans, j’allais dans un salon à Bayeux, où le coiffeur me faisait payer le tarif homme, vraiment pas cher”, explique Louie*, 26 ans, animateur·rice de colonies. Au cas par cas, les choses peuvent aussi se négocier. Coiffeuse au salon M’so, dans le XXème arrondissement de Paris, Iris raconte: “Pour une dizaine de clientes régulières, j’applique le tarif homme. Ça me semble plus logique, et en adéquation avec mes convictions personnelles.” Malgré tout, il reste des résistances au sein des salons traditionnels: “Un jour, en vacances, je suis rentré·e dans un salon où les prix n’étaient pas affichés. Je demande les tarifs, la coiffeuse me regarde et me dit: ‘Pour vous, ça sera 35 euros.’ J’ai demandé à avoir le tarif coupe homme, elle a refusé. C’était une grande claque.” confie Louie.
“On pense qu’une coupe courte comme elles veulent, un peu punk et rasée, ça fait mauvais genre.”
Changer les pratiques
“Chez nous, ce n’est pas à la tête du client, mais à la tête du coiffeur !”, annonce en riant Patrick Lagré de Tony&Guy. Dans les salons du réseau, on ne choisit pas en fonction de “coupe femme” ou “coupe homme”, mais on choisit sa coiffeuse ou son coiffeur. “Nous prévoyons exactement le même type de temps pour les hommes et pour les femmes, nous ne faisons pas de différence”, explique-t-il. Des salons indépendants peuvent aussi sauter le pas par conviction. Depuis trois ans, les salons Bubble Factory à Paris proposent une grille de tarifs non genrée. “On s’est concerté entre nous et on a décidé de fixer des tarifs 100% unisexe, uniquement basés sur la longueur de la coupe”, explique Kath, la gérante. Lorsqu’elle a annoncé cette décision sur les réseaux sociaux, elle a reçu beaucoup de retours positifs, mais aussi des insultes, comme “Sale gouine mal baisée”. Avoir un espace LGBTQ+ friendly passe aussi par des gestes simples: “On fait très attention à ne pas sexer les gens au téléphone”, explique Kath. Les coiffeur·se·s font tout particulièrement attention à ne pas préjuger de la façon dont une personne se définit. “On fait en sorte que ça ne soit pas une question, et on essaie de mettre les gens à l’aise en adaptant notre discours.
Réinventer des salons de coiffure queer
Comment font alors toutes les autres ? Il y a bien sûr la solution DIY : certaines se cotisent à plusieurs pour s’acheter une tondeuse et se le faire mutuellement, d’autres empruntent celles de leur frère ou se coupent les cheveux elles-mêmes. En même temps, des initiatives LGBTQ+ se développent. À la Queer Week ce printemps et au festival Comme nous brûlons, on pouvait ainsi croiser Victoria, qui anime un stand de coiffure à prix libre au nom drôle et politique: “Queer Chevelu”. “Il y a beaucoup de filles queer qui viennent me voir, qui n’osent pas forcément demander ce qu’elles veulent dans des salons traditionnels. On pense qu’une coupe courte comme elles veulent, un peu punk et rasée, ça fait mauvais genre.” Faustine, étudiante de 22 ans, voulait ainsi se tondre les cheveux pour son anniversaire. On lui conseille Victoria, à qui elle explique son projet de coupe. “Elle m’a demandé quelle taille je voulais pour la tondeuse, elle y est allée pas à pas, par étape, en m’accompagnant au fur et à mesure. J’étais chez moi, avec quelqu’un de confiance, j’avais l’impression de reprendre le pouvoir sur mon corps.” À la Pride, Yasmina, 26 ans, s’est retrouvée avec ses ami·e·s pour faire un atelier coupe et teinture. “On voulait être sur notre 31, et exprimer notre identité de la façon la plus fabuleuse et flamboyante possible.” De la couleur à la coupe, le cheveu reste un geste fort et politique. Reste à créer de nouveaux espaces.
> Lire l’article original sur le site ChEEk, réalisé par Manon Walquan